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12/07/2009

ENTRETIEN : LES QUESTIONS QUI TUENT

Par Doris Glénisson, DESS de Droit, MBA

Lors de tout entretien (d'embauche ou interview journalistique), il y a une série d'investigations "qui tuent".  

Pour les journalistes, il y a les questions à ne jamais poser si on veut plaire inconditionnellement à son interlocuteur et lui faire gentiment sa promotion (ce qui n'est pas l'objectif d'un journaliste, même si son objectif ne doit pas non plus être de "casser" son interlocuteur).   En pratique, en plus d'être simplement courtoises, les questions posées par les journalistes doivent seulement rester conformes à leur déontologie (essentiellement, elles doivent respecter la vie privée et la présomption d'innocence). 

Dans le cadre de l'entretien d'embauche, certaines questions sont coutumières et néanmoins très discutables car elles ne respectent pas toujours le droit (la principale source de droit étant en l'occurrence le code du travail).

Question 1 - Pourquoi avez-vous quitté ce poste ?  C'est la question vache qui fleure bon son parfum d'échec et de tensions.  Une question cynique, car on sait bien que si une personne n'est pas en poste, c'est qu'il y eut forcément un problème plus ou moins avouable dans sa précédente entreprise.  De plus, en droit, on peut se poser la question de sa licéité, sachant qu'il est interdit à un employeur d'indiquer la raison du départ du salarié sur son certificat de travail (Article L1234-19 du code du travail).  Pour ces raisons, poser cette question est à mon sens inciter voire forcer le candidat à l'embauche, au mensonge. Ainsi, à l'occasion des entretiens d'embauche, on relève comme réponses un nombre de démissions et de licenciements économiques prétendus, défiant toutes les statistiques.  Il y a aussi le très classique "Nous avons mutuellement décidé de nous séparer" qui vous catalogue immédiatement comme "viré" (mais viré soumis, quasi-consentant, donc peut-être récupérable à un poste moins exigeant, i.e. moins payé), mais aussi comme dépourvu de tout sens de la communication et surtout d'imagination.  La tentation est grande d'enchaîner "C'était une faute sérieuse, grave ou lourde ? Ou c'était pour incompétence, pour insuffisance professionnelle ?" questions que les goujats ne manqueront pas de poser. 

Question 2 - Pourquoi avez-vous redoublé cette année d'études, ou abandonné ces études ?  Là, on sent l'évaluation de votre QI, de votre rapidité à assimiler et régurgiter les matières à apprendre, de votre capacité de travail aussi.  Alors se multiplient au fil des entretiens, les prétendues années sabbatiques, les soi-disant années de travail à temps plein, les maladies de longue durée alléguées (qui n'ont généralement pas l'impact prétendu, pour exemple, j'ai réussi avec mention mon DESS de droit en crachant le sang à cause de rien moins qu'une tuberculose pulmonaire qui m'obligeait à étudier au lit en me bourrant d'antibiotiques).  Les plus acharnés n'hésitent pas à modifier leur année de naissance pour masquer un (ou plusieurs) échec qui leur paraît entacher l'image qu'ils désirent présenter.  Chez ceux qui se sont réorientés, le discours ne manque pas de pittoresque : ils n'ont pas fait l'ENA ou polytechnique parce que ces diplômes ne sont plus ce qu'ils étaient, parce qu'une formation plus pratique leur paraissait plus adaptée, bref la quintessence du discours qui se veut positif et qui bêtifie par son hypocrisie.  Non que chacun soit obligé de sacrifier au passage par la crème des écoles, mais l'excès d'hypocrisie prête plutôt à sourire.  Par ailleurs, le système de sélection des grandes écoles en France n'a pas la réputation d'être le plus impartial, ni le plus efficace.  On sait par exemple, que les filles sont sciemment défavorisées à l'entrée de plusieurs grandes écoles.

L'échec amoureux ou affectif est rarement envisagé alors qu'il est souvent la vraie cause de l'échec scolaire.  Une sorte de tabou l'entoure : ce n'est pas bien, cela fait trop émotif de reconnaître que l'échec n'était pas le fruit d'un cas de force majeure « imprévisible, irrésistible et extérieur » mais d'un simple transfert de motivations. 

Question 3 - Êtes-vous célibataire ou marié ?  Cette fois-ci cela touche à la vie privée. L'investigation dérape carrément.  Rappelons que l'entretien ne peut porter sur des informations étrangères à la future fonction (Article L1221-8 du code du travail).  On perçoit une volonté de débusquer le caractère asocial ou le faible potentiel de séduction (car il y a une habitude malheureuse et infondée de recruter un physique, un talent de séduction - on connaît les problèmes à se faire recruter éprouvés par les personnes âgées ou par les physiques plus difficiles).  Personnellement, je me souviens d'entretiens où l'on me faisait avouer que j'étais célibataire, pour ensuite me rétorquer que "cela viendra".  Un reproche en filigrane fait à l'invendu, à la catherinette qu'on essaye néanmoins de rassurer en lui promettant avec des airs de chiromancienne qu'il ou elle trouvera bientôt chaussure à son pied (en ajoutant parfois le très sentencieux et si inexact "cela arrive quand on s'y attend le moins").  Il y a aussi ceux qui s'acharnent pour savoir si vous êtes marié, divorcé, séparé, pacsé, en concubinage, polygame, si vous avez un ou plusieurs partenaires cachés.  Bref, il paraît nécessaire d'identifier si vous pratiquez l'acte sexuel dans les règles et conformément à la moyenne nationale, si vous n'avez pas de problèmes sexuels qui pourraient entacher votre bonne humeur ou vous créer des frustrations nuisibles.

Il y a aussi les questions sur le nombre d'enfants qui sont complètement hors sujet et ont trait à la vie privée, alors que la seule chose qui importe à l'employeur c'est connaître les jours et heures de disponiblité du futur salarié, peu importe la raison de cette disponibilité.

Toutes les questions qui ne se rapportent pas strictement à l'adéquation du candidat à la fonction présument en réalité d'une discrimination à l'embauche (Article L1132-1 du code du travail), et forment des éléments que le salarié pourra présenter pour justifier son allégation de discrimination, à charge de l'employeur de démontrer que sa question n'était pas motivée par des intentions discriminatoires.  A cela peut se combiner l'atteinte à la vie privée.

Ainsi, l'âge, le sexe, l'appartenance syndicale, l'état marital, la nationalité ne doivent pas obligatoirement figurer sur le CV (je n'ai d'ailleurs jamais fait figurer ces informations sur mon CV) et ne devraient pas non plus faire l'objet de questions préalablement à l'embauche.  L'exigence d'une photo, hormis pour les métiers liés au physique (mannequin, acteur etc) me paraît aussi très discutable.  L'évolution vers le CV anonyme a été une amélioration notable à mon sens. 

A cela s'ajoutent les questions totalement interdites (et souvent posées) : si la candidate veut avoir prochainement un enfant, si elle est enceinte, bref si elle n'a pas l'intention de pouliner plutôt que servir corps et âme son patron.

Le système de recrutement est tellement incitatif au mensonge, offre une telle prime à l'immoralité dans certaines entreprises, qu'un documentaire a montré il y a quelques années que le candidat recruté par une grande banque française était celui qui avait menti avec le plus d'audace.  Après cela, on s'étonnera que des affaires Kerviel, Madoff ou Leeson surgissent et que des banques connaissent des problèmes gravissimes.

Quelques textes relatifs à l'entretien d'embauche (recueil d'informations, discrimination, femme enceinte), et au certificat de travail) :

Méthode de recrutement

Article L1221-8 du code du travail

Le candidat à un emploi est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'aide au recrutement utilisées à son égard.

Les résultats obtenus sont confidentiels.

Les méthodes et techniques d'aide au recrutement ou d'évaluation des candidats à un emploi doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.


Article L1221-9 du code du travail

Aucune information concernant personnellement un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.

Femme enceinte

Article L1225-1 du code du travail

L'employeur ne doit pas prendre en considération l'état de grossesse d'une femme pour refuser de l'embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d'une période d'essai ou, sous réserve d'une affectation temporaire réalisée dans le cadre des dispositions des articles L. 1225-7, L. 1225-9 et L. 1225-12, pour prononcer une mutation d'emploi.

Il lui est en conséquence interdit de rechercher ou de faire rechercher toutes informations concernant l'état de grossesse de l'intéressée

Article L1225-2 du code du travail 

La femme candidate à un emploi ou salariée n'est pas tenue de révéler son état de grossesse, sauf lorsqu'elle demande le bénéfice des dispositions légales relatives à la protection de la femme enceinte.

Article L1225-3 du code du travail 

Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1225-1 et L. 1225-2, l'employeur communique au juge tous les éléments de nature à justifier sa décision.

Lorsqu'un doute subsiste, il profite à la salariée enceinte.

Discrimination

Article L1132-1 du code du travail

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire visée à l'alinéa précédent en raison de l'exercice normal du droit de grève. Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux alinéas précédents ou pour les avoir relatés.
En cas de litige relatif à l'application des alinéas précédents, le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments  

Certificat de travail

Article L1234-19 du code du travail

A l'expiration du contrat de travail, l'employeur délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire.

Article R1238-3 du code du travail

Le fait de ne pas délivrer au salarié un certificat de travail, en méconnaissance des dispositions de l'article L.1234-19, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Article D.1234-6 du code du travail
Le certificat de travail contient exclusivement les mentions suivantes :
1° La date d'entrée du salarié et celle de sa sortie :
2° La nature de l'emploi ou des emplois successivement occupés et les périodes pendant lesquelles ces emplois ont été tenus.

Avertissement : Veuillez ne pas citer mon patronyme dans vos critiques.

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